La Marseillaise

C'est à Strasbourg dans la nuit du 25 au 26 avril 1792, cinq mois avant la décisive bataille de Valmy (20 septembre) que naît le Chant de guerre pour l'armée du Rhin ou Chant de marche des volontaires de l'armée du Rhin ou encore Chant de guerre des armées aux frontières toutes appellations éphémères.

De fait, dès sa première publication à Marseille par le jeune général François Mireur (1770-1798) natif d'Escragnolles, ce sont les troupes des fédérés marseillais qui, l'ayant adopté comme chant de marche, l'entonnent lors de leur entrée triomphale aux Tuileries à Paris, le 30 juillet 1792.

Immédiatement, la foule parisienne, sans se préoccuper de ses différents noms, baptise ce chant : La Marseillaise, titre qui a l'avantage, outre sa simplicité, de marquer de Strasbourg à Marseille, de l'Est au Midi, l'unité de la toute jeune Nation.

 

Revenons sur la composition de ce chant patriotique par le capitaine du génie militaire Claude-Joseph Rouget dit de Lisle (1760-1836).

Le 25 avril, le maire de Strasbourg, baron Philippe-Frédéric de Dietrich, reçoit à son domicile de la place Broglie le maréchal Luckner, les généraux Victor de Broglie, d'Aiguillon et du Chatelet, les futurs généraux Kléber, Desaix et Malet, ainsi que le capitaine du génie Rouget de Lisle.

Il demande à ce dernier d'écrire un chant de guerre.

Retourné en soirée à son domicile, rue de la Mésange, Rouget de Lisle compose son Chant de guerre pour l'armée du Rhin dédié au maréchal Luckner, qui commande cette armée et est d'origine bavaroise.

Au matin, Rouget retourne chez Dietrich et lui présente son chant que ce dernier déchiffre.

Le soir du 26, nouvelle réunion chez le maire, qui chante lui-même l'hymne, accompagné au clavecin par sa femme, Sybille de Dietrich.

Elle trouve le morceau "fort entraînant et d'une certaine originalité. C'est du Gluck en mieux, plus vif et plus alerte".

Le chant retentit ensuite publiquement pour la première fois sur la Place d'Armes à l'occasion d'une parade militaire le dimanche suivant 29 avril.

 

Qui était donc ce capitaine Rouget de Lisle ? Etait-il musicien ?

Oui il connaissait et pratiquait la musique, comme beaucoup de personnes cultivées de l'époque. 

A-t-il composé autre chose que la Marseillaise ? 

Eh bien pas grand-chose en dehors d'un recueil de 50 Chants français, en fait une compilation de chants pré-existants ré-arrangés par lui.

Alors où a-t-il trouvé l'inspiration de cette mélodie si entraînante ?

 

Depuis le 1er mai 1791 Claude-Joseph est en garnison à Strasbourg où il a fait la connaissance du maire de Dietrich dans une loge maçonnique. Et non loin de la demeure du maire Place de Broglie il y a la cathédrale et son directeur de la musique, un certain Ignace Joseph Pleyel (Vienne 1757 - Paris 1831) élève de Haydn et futur fondateur de la célèbre fabrique parisienne de pianos.

Pleyel est à Strasbourg depuis 1783 et a sans doute gardé des liens avec ses amis viennois dont son contemporain Mozart (1756-1791) franc-maçon comme lui.

Mozart a composé en 1785 un brillant 25ème concerto pour piano en Ut majeur K.503 dont le second thème (en mineur) du 1er mouvement Allegro maestoso rappelle étrangement les premières mesures de la Marseillaise.

Dans cette version de Martha Argerich, exposition orchestrale à 1'30", reprise et développement au piano soliste de 6'45" à 8'15". 

 

Ou dans cette version de Piotr Anderszewski bénéficiant d'une meilleure prise de son à 1'25" (exposition) puis de 7'00 à 8'30" (piano soliste)

 

Ou dans cette version 'live' des Proms 2013 à Londres du pianiste britannique Paul Lewis et du chef Daniel Harding (1'35" puis de 7'10" à 8'40") 

 

Ou dans cette version "diaporama Montagnes Rocheuses" pour deux pianos du pianiste du Colorado Larry Graham (1'35" puis de 6'40" à 8'10")

Pleyel aurait-il soufflé le thème de la Marseillaise à Rouget de Lisle ?

Pas directement en tout cas car depuis novembre 1791 Pleyel ayant perdu son poste à la cathédrale en raison de suspicions de sentiments anti-révolutionnaires est parti à Londres où il retrouve son vieux maître Haydn dans des duels maître-élève dont le retentissement dépasse les frontières de l'Angleterre.

Revenu à Strasbourg après le gros de la tourmente révolutionnaire, il achètera le château d'Ittenwiller (l'Angleterre a bien payé!) puis s'installera à Paris en 1795.

 

Mozart était dans l'air à Strasbourg... Il y était passé en 1778 revenant de Paris, il y connaissait les facteurs de pianoforte Silbermann et Stein.

Il y avait également à Strasbourg d'autres musiciens susceptibles de connaître l'œuvre de Mozart comme Jean-Frédéric Edelmann (1749-1794).

Bref il n'est pas du tout impossible que Rouget de Lisle ait pu entendre ce 25ème concerto de Mozart et s'en inspirer. 

Quant à la Marseillaise, elle a connu elle-même plusieurs versions dont celle orchestrée par Berlioz en 1830 et remise à l'honneur en 1974 sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, ici à Versailles en 2009 chantée par Roberto Alagna accompagné par la baguette de Michel Plasson 

 

Elle a été paraphrasée et variée par Claude-Bénigne Balbastre (1724-1799) ici par le claveciniste hollandais Korneel Bernolet (né en 1989)

  

Là par l'organiste italien Luca Raggi (né en 1975)

  

Franz Liszt en a fait une paraphrase (qui n'ajoute rien à sa gloire) ici jouée le 13 juillet 2016 (Happy Bastille Day!) par la pianiste coréenne-américaine Yoonie Han

 

La pianiste franco-géorgienne Katia Buniatishvili (née en 1987) la joue chez elle à Paris sur fond de liesse populaire débridée lors de la victoire de la France dans la coupe du monde de football le 15 juillet 2018

Tout au long du 19ème siècle et même au-delà la Marseillaise a été utilisée en musique pour symboliser la France (Tchaikovsky, Ouverture 1812), ou pour évoquer l'idée de révolte (Offenbach, Orphée aux Enfers) ou encore pour évoquer discrètement les idéaux de la révolution (liberté, égalité, fraternité) dans l'Europe répressive de Metternich après le Congrès de Vienne (années 1815-1848).

 

Ainsi Robert Schumann (1810-1856) a-t-il cité plusieurs fois de façon expresse les premières mesures de la Marseillaise.

Brièvement  (5'13" à 5'20") dans le 1er mouvement Allegro molto du Carnaval de Vienne op.26 pour piano, ici en 1983 par Brigitte Engerer 

 

Pour ponctuer (à partir de 3'00) le lied Les deux grenadiers op.49 n°1 (1840) sur un poème (1816) de l'écrivain allemand francophile Heinrich Heine

(1797-1856). Ici par l'acteur, chanteur et peintre Armand Mestral (1917-2000) 

 

De façon plus affirmée comme thème identifiant la jeune française Dorothée dans l'ouverture Hermann et Dorothée composée en 1851 pour accompagner le poème épique éponyme en 9 chants et en vers de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832). Ici le 5 mai 2017 par l'ensemble britannique Faust Chamber Orchestra dirigé par Mark Austin 

 

 

Au 20ème siècle la Marseillaise connaît encore de nouveaux avatars; elle inspire le jazz avec Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, le jazz manouche ou le reggae avec Serge Gainsbourg. 

Jazz avec Django Reinhardt en 1946,

  

Jazz manouche 

Sur un rythme de reggae avec Serge Gainsbourg en 1979) 

 

A bientôt !