Louis XIV à l’origine du « God save the Queen » …

La chronique du 25 mai évoquait les avatars musicaux d'un concerto de Vivaldi. Aujourd'hui il s'agit d'un roi de France et de plusieurs airs nationaux. 

 

La France et l'Angleterre ont une longue histoire commune, depuis la conquête de la blanche (plutôt que perfide) Albion en 1066 par Guillaume II de Normandie jusqu'au divorce du Brexit presqu'un millénaire plus tard.

Mais sait-on que le célébrissime hymne national britannique « God save the Queen (ou the King) » a un rapport étroit avec une opération délicate subie par le Roi-Soleil à Fontainebleau le lundi 18 novembre 1686 ?

 

Ce jour-là le chirurgien Charles François Félix Tassy (1635-1703) opère le royal postérieur d'une fistule anale.

Une longue opération de 3 heures, restée célèbre non seulement en raison de l'illustre patient, mais parce c'était une première mondiale et que, bien que douloureuse, s’est déroulée sans anesthésie, le roi faisant preuve de beaucoup de courage.

A la demande du Roi, le chirurgien s'était auparavant « entraîné » sur de nombreux galériens, prisonniers et indigents rassemblés à l'hospice de Versailles (on parle de 75 dont un certain nombre moururent), ce qui lui permit de mettre au point un instrument spécifique appelé depuis bistouri « recourbé à la royale ».

 

On pria pour le succès de cette opération périlleuse et pour soutenir son époux (mariage morganatique en 1683), Madame de Maintenon demanda à Lully de composer un hymne.

Le texte de « Grand Dieu sauve le Roy » fut écrit par Madame de Brinon, supérieure de la Maison royale de Saint-Louis créée par la marquise à Saint-Cyr.

Pendant l'opération, les Demoiselles de Saint-Cyr chantèrent cette composition.

Elles l’interprétèrent ensuite à chacune des visites du roi à la Maison royale. 

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Comment cet air est-il devenu l'hymne britannique ? 

 

Deux thèses s'affrontent :

 

  • en 1714, Haendel, tout récemment devenu compositeur officiel du roi britannique Georges 1er de Hanovre découvre cet air (les partitions voyagent...). Il le note, fait adapter le texte en anglais et le soumet au roi : énorme succès.

L'hymne est dorénavant joué dans toutes les cérémonies où le roi est présent et s'impose au fil du temps comme l'hymne national. 

 

  • L'autre piste vient de la maison royale des Stuart : Jacques Stuart, qui régna en Angleterre sous le nom de Jacques II, vit en exil en France à partir de 1689.

Il aurait entendu l'hymne et aurait décidé de l'adopter lorsqu'il remonterait sur le trône, ce qui n'est jamais arrivé puisqu'il est mort en exil en 1701.

Son fils, Jacques III, tenta à plusieurs reprises de récupérer son trône et lors d'une ultime tentative, en août 1745, ses partisans entonnèrent le fameux chant. 

 

Quel qu'en ait été le cheminement, « Que Dieu sauve la Reine (ou le Roi) » est aujourd'hui l'hymne le plus connu au monde.

Le Royaume-Uni n'a pas d'hymne national officiel, mais le « God save the Queen / King » possédant une longue histoire d'usage dans cette fonction, est utilisé par le gouvernement comme hymne national.

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Le voici chanté le 5 juin 2012 dans la Cathédrale Saint-Paul pour le Jubilé de Diamant de la Reine Elizabeth II (à noter l'impassibilité de la reine qui ne chante pas puisqu'on prie pour elle) 

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Et chanté par Dame Kiri Te Kanawa le 11 juillet 2013 lors du concert de gala de la fête du couronnement de la Reine. 

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Voici cette étrange histoire racontée en vidéo sur France-TV,

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L'histoire ne s'arrête pas là car l'hymne est adapté en allemand et adopté par la Prusse en 1790 avec le titre  « Salut à la Couronne » (Heil dir im Siegerkranz).

Voici la version prussienne assez martiale du « God save the King »

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De la Prusse cette mélodie traverse l'Atlantique vers 1830 pour accompagner le texte du poème patriotique de Samuel Francis Smith (1808-1895) « My Country, 'Tis of Thee » (Mon pays est de toi), également connu sous le nom « America », qui a servi d'hymne national de facto aux Etats-Unis avant l'adoption officielle en 1931 de l'actuelle chanson « La Bannière étoilée » (The Star-Spangled Banner).

Voici tout d'abord une version méditative de "My country, 'Tis of Thee"

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Autre version plus énergique et chargée de symboles patriotiques,

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Et pour l'Histoire, la version émotionnelle du 20 janvier 2009 librement interprétée par Aretha Franklin (1942-2018) lors de l'inauguration du Président Barack Obama,

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Et l'histoire continue, car « Grand Dieu sauve le Roy» est également à l'origine de l'hymne national autrichien « Gott erhalte Franz den Kaiser ».

En effet au début des années 1790, la monarchie des Habsbourg fait face à la montée des troubles révolutionnaires en France.

Afin de galvaniser les sentiments patriotiques, nationaux et dynastiques des autrichiensJoseph Haydn (1732-1809), de retour d'une tournée à Londres, évoque avec le conservateur de la bibliothèque de la cour l'opportunité de composer une sorte d'équivalent du « God save the King »

L'idée fait son chemin et le conseil impérial commande à Haydn une telle composition tandis qu'il charge le poète Lorenz Haschka (1749-1827) de trouver des paroles.

Le tout fut approuvé par le conseil et offert en grande pompe à l'empereur François II pour son anniversaire, le 12 février 1797, un bel « Happy birthday «  pour François. Le « Kaiserhymne » servit d'hymne national autrichien jusqu'en 1918. 

Le voici chanté le 1er avril 1989 lors du service funèbre de Zita de Bourbon-Parme (1892-1989) épouse du dernier empereur d'Autriche Charles 1er (1887-1922)

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Haydn utilisa ce thème plusieurs fois, d'abord au piano pour des variations jouées ici en 2004 par Alexander Lonquich,

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Puis dans le mouvement lent du quatuor à cordes op.76 n°3 « L'Empereur » joué ici par des solistes de l'orchestre de chambre de Paris dans une insolite vidéo de confinement enregistrée le 20 avril 2020 

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Et Carl Czerny (1791-1857, élève de Beethoven et professeur de Liszt) fit de brillantes variations virtuoses pour piano et orchestre op.73 sur ce thème de Haydn,

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Un 'avatar' de l'hymne de Haydn, Das Deutschlanlied (Le Chant de l'Allemagne) ou Das Lied der Deutschen (Le Chant des Allemands), a été l'hymne national de la république fédérale d'Allemagne, avant de devenir depuis 1990 celui de l'Allemagne réunifiée.

Les paroles en ont été composées par l'écrivain August Heinrich Hoffmann von Fallersleben (1798-1874) sur la partition du deuxième mouvement du quatuor à cordes op.76 n°3 « Kaiser » de Haydn. 

Les trois couplets ont constitué l'hymne national de la république de Weimar de 1922 à 1933.

Seul le premier couplet était chanté sous l'Allemagne nazie

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Une belle postérité pour le cantique de Lully composé en 1686 pour célébrer l'opération du Roi-Soleil, isn't it...? 

 

Un autre avatar étonnant est celui d'une chanson à boire anglaise devenue l'hymne officiel des Etats-Unis d'Amérique.

John Stafford Smith (1750-1836) est un compositeurorganiste d'église et musicologue britannique, l'un des premiers collectionneurs de manuscrits de J-S Bach, surtout connu pour avoir écrit la musique de « The Anacreontic Song » (aussi nommé Anacreon in Heaven, Anacréon au Paradis), chanson à boire en l'honneur du poète grec Anacréon (550-464 av.JC) composée pour un club de musiciens britanniques, The Anacreontic Society (1766-1792) et plagiée par les américains pour en faire en 1812 la chanson patriotique « The Star-spangled Banner ».

Le poème de Francis Scott Key (1779-1843) constituant le texte de l'hymne parut en 1814. 

Avocat de 35 ans et poète amateur, Key l'a écrit après avoir assisté pendant la guerre anglo-américaine de 1812 au bombardement du fort McHenry à Baltimore, dans le Maryland, par des navires britanniques de la Royal Navy entrés dans la baie de Chesapeake.

Le texte rend hommage à la résistance héroïque de ceux qui défendirent le fort et qui furent en mesure de faire flotter le drapeau américain au sommet en dépit de l'acharnement de l'ennemi à y planter le leur.

Reconnu pour un usage officiel par la marine américaine en 1889 et par la Maison-Blanche en 1916, il a été finalement adopté comme hymne national par une résolution du Congrès en date du 3 mars1931.

 

Voici le « Star-spangled Banner » version mise en scène pour chœur  mixte, avec au début la version originale (Anacreontic Song) puis l'hymne national américain

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Et voici une version solennelle et très patriotique 

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L'ode anacréontique a même connu un avatar luxembourgeois, cette mélodie ayant été utilisée pour accompagner les paroles de l'hymne national du Luxembourg jusqu'en 1895, date à laquelle a été substitué l'hymne actuel « Ons Heemecht », texte Michel Lentz (1820-1893), musique Jean-Antoine Zinnen (1827-1898). 

 

Enfin pour terminer cette série d'avatars musicaux la surprenante transformation du duo des Hommes d'Armes de « Geneviève de Brabant », opéra-bouffe (1859) de Jacques Offenbach (1819-1880) sur une héroïne légendaire du Moyen-Age, en hymne national des Marines américains The Halls of Montezuma (1879).

C'est sans doute l'accueil enthousiaste réservé à cet air de la seconde version (1867) de l'opéra-bouffe d'Offenbach qui inspira le plagiaire américain inconnu, peut-être un officier du Marine Corps. 

Offenbach étant encore en vie lors de la parution de The Halls of Montezuma, on ne sait pas si cet emprunt a fait l'objet de versement de droits d'auteur en sa faveur...

 

Voici le duo d'Offenbach dirigé en 1956 par Arthur Fiedler et son Boston Pops Orchestra,

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Et ici le 14 décembre 2016 à Chicago par le US Marine Band dirigé par le Colonel John R. Bourgeois,

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Et enfin The Halls of Montezuma le 4 mars 2016 à Strathmore (Maryland) par le US Marine Band dirigé par le Lt. Col. Jason K. Fettig,

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Bonne lecture, bonne écoute et à la semaine prochaine pour de nouvelles aventures musicales...