Le 16 décembre 2021 on célèbrera le centième anniversaire de la mort de Charles Camille Saint-Saëns (1835-1921)
A l'occasion de cette année Saint-Saëns sa discographie devrait s'enrichir de nombreux coffrets et intégrales diverses, avis aux amateurs!
Saint-Saëns a vécu suffisamment dans le XXème siècle pour laisser des traces visuelles et sonores. Grâce à Sacha Guitry ("Ceux de chez nous", film 1915) et aux enregistrements sur piano pneumatique Welt-Mignon, regardons-le et écoutons-le diriger et jouer du piano
Qui était ce musicien contemporain de Brahms, Tchaikovsky, Dvorak, qui leur a survécu plus de 20 ans, compositeur entre autres du Carnaval des animaux, de la 3ème Symphonie avec orgue, de l'opéra Sanson et Dalila et de la Danse macabre ?
- enfant prodige comparable au jeune Mozart (mais protégé par sa mère des dangers d'une célébrité trop précoce) à la santé fragile
- célibataire endurci après un mariage sur le tard et la mort rapprochée de ses deux enfants
- grand voyageur dans la seconde partie de sa vie, 179 voyages vers 27 pays en Europe, Afrique du Nord, Moyen-Orient, USA, Amérique du Sud,
- organiste parisien titulaire à 18 ans, d'abord à Saint-Merri puis à la Madeleine, au total pendant près de 25 ans,
- artiste secret déjouant stéréotypes et caractérisation simple,
- musicien paradoxal, moderniste dans sa jeunesse, conservateur voire passéiste dans sa maturité,
- personnage controversé reconnu par ses pairs (Berlioz, Liszt, Verdi, Bizet), mais également critiqué (D'Indy, Poulenc) voire méprisé (Debussy).
- s'inspirant du classicisme français (Rameau, Couperin) à l'âge du post-romantisme
- privilégiant la forme et la raison au détriment du sentiment ("l'Art est destiné à créer la Beauté et le caractère, le sentiment ne vient qu'après")
- parmi les jugements de ses contempteurs: "le seul grand compositeur sans génie" ou "mauvaise musique bien écrite"
- adulé en Grande-Bretagne, il y créa la 3ème symphonie avec orgue et fut décoré par la Reine Victoria
- connu aujourd'hui dans son pays pour une dizaine d'oeuvres seulement alors que son catalogue compte pplus de 400 entrées dont de nombreuses mélodies
- artiste caméléon à la voix difficilement identifiable, à la différence d'autres compositeurs (Mozart, Beethoven, Schubert, Schumann, Liszt etc.)
- musicien "officiel" honoré et décoré (Chevalier de la légion d'honneur à 32 ans, Officier à 49 ans, Grand-Croix à 78 ans).
- il n'a pas créé d'école esthétique et n'a pas eu d'épigones mais il a ouvert la voie (la voix?) à d'autres (Fauré, Ravel).
- pianiste de haute tenue, encore en pleine possession de ses moyens à plus de 80 ans,
- compositeur ayant abordé tous les genres y compris le théâtre et la musique de films (1908, L'assassinat du Duc de Guise)
- doté d'une curiosité universelle, s'intéressant à la botanique, l'astronomie, l'archéologie.
- monument incontournable du paysage musical français pendant près de 70 ans à partir de 1850.
- fervent défenseur de la musique française à l'heure du wagnérisme et de l'engouement pour la musique allemande de Beethoven, Mendelssohn, Schumann, Brahms...
Saint-Saëns était tout cela et bien plus encore naturellement. Pour le rencontrer suivons-le dans le parcours chronologique de sa vie et de sa carrière.
Charles Camille Saint-Saëns est né rue du Jardinet à Paris VIème le 9 octobre 1835. Son père originaire de Haute-Normandie (Dieppe) meurt de tuberculose trois mois après sa naissance, le jour de son 1er anniversaire de mariage. Il est élevé par sa mère et sa grand-tante Charlotte Masson. Leur forte fibre artistique décèlera vite chez l'enfant les prémices d'un talent musical qu'elles protègent. Il se produit à l'occasion devant des publics restreints dès l'âge de 5 ans mais ne fait son début officiel qu'à 10 ans Salle Pleyel au cours d'un concert mémorable où il joue deux concertos le 15ème de Mozart et le 3ème de Beethoven. Il reçoit l'enseignement privé de Camille Stamaty. Brillant élève en humanités classiques (français, latin, grec) il est admis au Conservatoire à 13 ans, obtient à 16 ans un 1er prix d'orgue et suit jusqu'à 18 ans les cours de composition de Fromenthal Halévy (qui forma également Gounod et Bizet).
A l'époque une carrière d'organiste offrant plus de possibilités que celle de pianiste soliste il obtint en 1853 le poste d'organiste de Saint-Merri, puis en 1858 de la Madeleine, s'astreignant pendant près de 25 ans aux obligations de sa charge tout en composant. Cette fréquentation quotidienne des maîtres anciens marqua sans doute tout son parcours ultérieur de compositeur.
Encouragé dans sa carrière de compositeur par ses amis Liszt, Berlioz et Rossini ainsi que par la Diva du romantisme, la cantatrice et compositrice Pauline Viardot, il est rapidement récompensé par des prix, mais n'obtient pas le très convoité Prix de Rome malgré deux tentatives infructueuses en 1852...et douze ans plus tard en 1864 (il s'attire à cette occasion le bon mot de Berlioz "il sait tout, mais il manque d'inexpérience"). Le professionnalisme de Saint-Saëns fut maintes fois souligné y compris par ses détracteurs, le jugeant "plus professionel qu'inspiré"...
En 1861 il est responsable des études de piano à l'Ecole Niedermeyer où il scandalise certains en introduisant des compositeurs modernes (
Pendant la guerre de 1870 il sert dans la Garde Nationale. En 1871 son employeur le curé de la Madeleine Gaspard Deguerry est fusillé par les Communards en même temps que l'archevêque de Paris Mgr Darboy. Réfugié à Londres il rentre à Paris fin 1871 pour s'associer aux fondateurs de la Société Nouvelle de Musique (Bussine, Fauré, Dupard, Massenet, Franck). Il compose des poèmes symphoniques, des mélodies, des oeuvres avec orchestre mettant en valeur le violon et le violoncelle. Sa grand-tante Masson meurt en 1872.
Il surprend son entourage par son mariage en 1875 (il a 40 ans) avec une jeune femme de 19 ans Marie-Laure Truffot. Le couple s'installe (avec la maman Saint-Saëns) rue Monsieur-le-Prince. Deux garçons naissent, André et Jean-François. Le premier meurt en tombant par la fenêtre de leur appartement, le second décède quelques mois plus tard de pneumonie, ce double drame détruit le couple. Saint-Saëns ne divorce pas, mais se sépare brusquement de sa femme (28 juillet 1878) qu'il ne reverra plus. Marie-Laure Saint-Saëns vivra jusqu'en 1950. Il trouvera une famille de substitution avec Gabriel et Marie Fauré et leurs deux garçons.
Le genre musical noble au XIXème siècle était l'opéra. Saint-Saëns s'y essaie en 1872 avec La Princesse Jaune (5 représentations) puis en 1877 avec Le Timbre d'Argent (18 représentations) et surtout Sanson et Dalila, le seul de ses 13 opéras à conquérir sa place et à la garder dans le grand répertoire international.
Sa mère dont il était très proche meurt en 1888. Sa vie change, il voyage énormément, s'installe à Dieppe (où un musée à son honneur est fondé de son vivant en 1890) et en 1900 à Paris rue de Courcelles. C'est pour lui une époque de succès et de consécration. Tournées aux USA comme pianiste et chef d'orchestre (1906 et 1909).
Sans doute seul musicien français à faire le déplacement, il est à Munich en 1910 pour assister à la première de la 8ème symphonie de Mahler. Cependant son instinct classique pour la forme l'éloigne de la musique "déstructurée et informe" de Debussy et encore plus de Stravinsky ou Schönberg.
Pendant la première guerre mondiale il essaie sans succès d'organiser un boycott de la musique allemande ("la musique n'a pas de patrie, mais les musiciens en ont une"). Il donne de nombreux concerts à Paris, en province et même aux USA pour soutenir les oeuvres charitables de guerre. Il compose des oeuvres patriotiques pour la France (Vive la France, Marche Héroïque, Hymne à la Paix) et pour les USA (Honneur à l'Amérique, Hail California), et célèbre la victoire avec une de ses dernières grandes compositions orchestrales avec orgue et choeur (Cyprès et Lauriers) dédiée au président de la république Raymond Poincaré.
"En ce moment je consacre mes dernières forces à procurer aux instruments peu favorisés sous ce rapport les moyens de se faire entendre". Début 1921 il compose ainsi trois sonates avec piano pleines de vie et d'inventivité, pour clarinette, pour basson, pour hautbois mais il n'a pas le temps de terminer la quatrième pour cor. Il donne un ultime récital de piano à l'Institut en novembre, s'embarque début décembre pour passer l'hiver à Alger comme il en a l'habitude, et meurt brusquement d'une crise cardiaque le 16 décembre. Obsèques solennelles à la cathédrale Saint-Philippe d'Alger puis nationales à la Madeleine à Paris et inhumation en grande pompe au cimetière Montparnasse avec, discrète et voilée parmi la foule, son épouse séparée Marie-Laure qu'il n'a pas revue depuis 1881.
Commentaire du quotidien The Times "La disparition du doyen des musiciens français prive la France d'un de ses plus éminents compositeurs, et le monde du dernier représentant des grands mouvements musicaux du 19ème siècle".
Farouche partisan de l'équilibre en musique, Saint-Saëns a incarné plus que d'autres les qualités de clarté, élégance, rigueur et concision représentatives du style français à travers les siècles. Comme pour un grand vin on trouve chez lui rigueur imparable de la construction, équilibre parfait, justesse, profondeur, élégance... en trois mots "rien de trop" !
Voici à présent dans l'ordre chronologique de composition et avec l'aide de notre mécène Youtube (pardon pour la pub au démarrage) quelques liens musicaux attendus et inattendus pour illustrer le parcours de cette longue vie.
Mais tout d'abord une pépite, même si elle est un peu longue (34'), c'est la finale du concours BBC Young Musicians 2010 remporté par la pianiste anglo-turque de 16 ans Lara Melda (Ömeroglu) avec le magnifique 2ème concerto pour piano de Saint-Saëns, une oeuvre dont on a pu dire qu'elle commençait comme du Bach et finissait comme du Offenbach. Lara Melda l'interprète avec une fraîcheur et un plaisir évidents et communicatifs. Cela dure 24' plus 10' de bonus "behind the scene". Enjoy! comme disent nos amis anglo-saxons.
Buffet gastronomique et chronologique "Chez Camille"
1850 Symphonie La majeur
1859 Symphonie n°2 La mineur
1863 Introduction et Rondeau Capriccioso
A-S Mutter
Janine Jansen
1868 Concerto pour piano n°2
Alexander Malofeev (12 ans)
Valentina Lisitsa (46 ans)
1874 Danse Macabre
Animé
Orchestre
Chanté
1875 Allegro Appassionato
Corinne Morris
Jacqueline du Pré
1877 Samson et Dalila Bacchanale
Orchestre des Jeunes de Caracas
Philarmonie Berlin G. Dudamel
1877 Samson et Dalila "Mon coeur s'ouvre à ta voix" Elina Garança, Roberto Alagna
1878 Requiem Agnus Dei
1880 Barcarolle Une nuit à Lisbonne
1881 Septuor op.65
Intermède
Gavotte et Final
1883 Choeur Calme des nuits
1884 Mélodie El Desdichado
1886 le Carnaval des animaux
l'Aquarium
le Cygne
Fossiles
Eléphant
les Tortues
Final (Fantasia 2000)
1886 Symphonie n°3 avec orgue Final
1887 Havanaise
1892 Toccata op.111
1892 Les Cloches de Las Palmas
1908 L'assassinat du duc de Guise, film d'André Calmettes
Film 18'
Musique seule op.128 19'30"
1915 Hail California
1919 Lauriers
1921 Sonate clarinette
1921 Sonate basson
1er mvt
2ème mvt
1921 Sonate hautbois op.166
2ème mvt
Final
Bonne écoute!